
J'ai pris un peu de temps avant de vous envoyer ce mail car, si votre invitation me fait plaisir, je ne pense pas être en mesure de l'honorer.
Les rumeurs ne me font ni chaud ni froid.
Néanmoins, je serais un sacré goujat si je refusais de participer — même indirectement — à votre petite aventure. car l'intention est louable. L'article du Matricule des anges, sous couvert de journalisme littéraire "sérieux", a fait des dégâts non négligeables à une réputation qui ne méritait déjà pas d'être ternie. En fait, les deux articles. Celui d'Eibel et celui de Favre. Bref.
Après avoir écrit mon petit billet sur Ange, j'ai reçu un message d'un utilisateur du forum À propos de litt' pop' qui me fournissait les références suivantes (je le cite, j'espère qu'il ne m'en voudra pas…) :
« Ange était adhérent d'un parti collaborationniste, il est donc condamné en 48 à UN an de prison (quand l'innocent Simonin prendra lui 5 ans et Giovanni [..] sera condammé à mort !). Ange a été caché pendant deux ans par son ami d'enfance le romancier Eugène Moineau (soit dit en passant un résistant et juif), c'est lui-même qui me l'a dit ou plutôt répété puisque j'avais déjà eu d'autres témoignages dans ce sens. Ange et la rue Lauriston ? Grosse frayeur dans les chaumières, mais désolé, les gestapistes, délateurs, tortionnaires ont été soit fusillés soit lourdement punis. Pourquoi pas Ange s'il en avait été ? Serait le fils caché du Général ? Ange aux commissariat général aux questions juives ? Ouah ! quelle histoire, on en mouille dans son pantalon. Sauf que c'est marrant, suite à ma demande, au Centre de documentation juive contemporaine, il n'y a aucune trace de Le Page/ Bastiani, aucun dossier, aucune mention. »
Concernant le dernier point, un petit détail pas très utile et très "conversation de bistrot" — mais c'est pas pire qu'un article sans source…
Donc.
Selon Michel Lebrun, Bastiani est né en 1918 — ce qui, lors des "événements" (comme on dit...), lui faisait, grosso modo, 25 ans. Et à 25 ans, « responsable aux Questions juives pour les départements de l'Eure et de l'Eure-et-Loir » ça fait un peu beaucoup non ? Bastiani était collabo, cela ne fait aucun doute, mais de là à corser la sauce pour vendre sa salade, il y a tout de même une sacrée marge.
Quant à l'affaire en elle-même, j'en reste à l'article de Pierre Genève — le témoignage d'un type qui connu et édita Héléna et Bastiani dans des collections pornos a pour moi beaucoup plus de valeur que les jérémiades d'un pauvre cave du Matricule des anges ;)
Juste deux remarques :
1) On peut vérifier que Pierre Genève et Marino Zermac (pseudonymes de Marc Schweizer qui en est d'ailleurs un autre) ne font effectivement qu'un en comparant leurs biographies respectives, ici et là (§ "Enfant de l'amour"). En relisant les informations que Zermac fournit sur Bastiani, je m'aperçois d'ailleurs qu'il précise le lieu de son décès (rue d'Alésia, à Paris) et même l'église où fut célébré l'office :
Franc buveur, efficace, fantastique entraîneur d'hommes, Ange était devenu un ami fidèle. Lorsqu'il mourut, rue d'Alésia, en 1977, ses biens ne revinrent pas à la jeune et gentille compagne de ses dernières années, mais à sa plus proche parente, la Révérende Mère Marie-Ange (Lepage pour l'état-civil), supérieure d'un couvent breton. Il existe deux autres versions de cette succession. L'une affirme que la révérende refusa l'héritage sulfureux de son neveu dont les biens revinrent à l'État, et l'autre qui prétend qu'Ange mourut tellement endetté qu'il ne laissait même pas de quoi payer son enterrement.
Récemment, une amie théologienne me confia que la tante d'Ange Bastiani, Révérende Mère Marie-Ange du Sacré Cœur de Jésus en religion, avait été une femme remarquable, proche collaboratrice de la très extraordinaire Yvonne-Aimée de Malestroit, décorée par le Général de Gaulle pour hauts faits de résistance !
Toujours est-il que sa tante exigea que son neveu hédoniste et mécréant fût enterré religieusement. L'office qui se déroula à l'église Saint-Pierre du petit Montrouge, avenue du Général-Leclerc à Paris, fut interrompu à plusieurs reprises par des coups violents paraissant frappés dans les murs, soit dans les voûtes de l'édifice.
Soudain la voix de Robert Vergnes, au fort accent rocailleux du Sud-Ouest, s'écria :
— Ange, es-tu là ? Si tu es là, viens nous rejoindre à la sortie ! On va boire un coup à ta santé, rue Daguerre, chez Bernard Péret !